vendredi 9 décembre 2011

Nourritures spatiales (sol 6)


Cela fait plusieurs jours que je vous parle de l'expérience que nous menons, en tant que cobayes, sur la place de la nourriture dans les missions spatiales de longues durées.

Il faut d'abord comprendre que pour de telles missions – comme les patrouilles sous-marines d'ailleurs – la limite est clairement l'être humain et ce qu'il peut endurer tant physiquement que psychiquement. Et sur un plan alimentaire, contrairement à une machine, l'homme ne se satisfait pas de panneaux solaires pour vivre... il lui faut un peu d'amour, certes, mais surtout beaucoup d'eau fraiche et de nourritures.


Et la nourriture pèse lourd dans l'équation "propergol contre nourriture". Les ingénieurs préféreront toujours mettre un kilo de plus de carburant ou d'instruments de mesure qu'un kilo de camembert, de Nutella ou autre joyeuseté comestible. Sans compter que la nourriture "fraîche", comme les fruits et légumes ne le sera que pendant les premières semaines de vol, ce qui est d'ailleurs une situation que connaissent déjà les hivernants polaires.
Les instigateurs des missions spatiales sont également sceptiques sur le temps que prendraient les tâches ménagères, empiétant d'autant sur celui consacré aux manipulations scientifiques ou techniques. D'où la nécessité absolue d'optimiser la nourriture pour qu'elle pèse le moins lourd possible (vive le déshydraté !), soit facile à préparer, mais soit malgré tout appétante (qu'elle fasse envie), nourrissante (réponde aux besoins journaliers) et satisfasse aussi à la dimension psychologique d'un repas partagé par tous les membres d'équipage (halte au Bolino boulotté dans son coin).

Il y a aussi un tas de contraintes à prendre en compte lors de la préparation des repas, la cuisine ne pouvant pas - vous l'aurez deviné - s'apparenter à celle d'un chef étoilé, mais aussi des températures et des durées de cuisson différentes avec les changement de gravité et de pressions d'air. Bref... se faire des oeufs brouillés dans l'espace est une gageure !


DONC... depuis le début de notre rotation, nous vivons et mangeons sous la webcam aiguisée de l'université de Cornell, et particulièrement de Jean qui a mis au point cette étude. Si nous la remercions chaque sol que Mars fait pour nous avoir préparé nos rations, nous devons nous plier à des règles stricts quant à la nourriture : pendant deux jours, nous ne devons que de la nourriture préparée à réhydrater. Les deux jours suivants, nous avons le droit de cuisiner. Tous les matins, nous nous pesons, et tous les soirs, après le diner qui est notre repas principal nous remplissons un questionnaire anonyme qui nous interroge tant sur notre comportement en cuisine, à table, que sur notre humeur général.


Alors que mange-t-on les non-cooking day ? de la soupe déshydratée, des pâtes déshydratées saupoudrées de cheddar déshydraté, des tortillas dégoulinantes de Nutella et couverte de tranches de pommes déshydratées... et c'est étonnamment bon !


Et les cooking-days ? J'étais de "petite Marie" hier soir, avec Mike, et nous avons fait un risotto aux noix et petits pois SOMP-TU-EUX (recette trouvée sur mon iPhone... Ben oui, décidément, "il y a une application pour ça"). Je pense que tout le monde a apprécié le côté craquant des noix, car avec le déshydraté tout tend malgré tout à avoir la même consistance (quand ce n'est pas le même goût).
Pour le reste on manque de pas mal d'ustensiles, comme un simple plat à gratin allant au four (nous avons pourtant les tranches de pomme de terre déshydratées !), ou d'épices variées, afin de relever un peu les goûts sans trop saler les plats.


Résultats, après 6 jours de ce régime et malgré pas mal d'activités physiques durant des escalades inopinées lors des EVA, nos poids se maintiennent tout à fait ! En revanche, certaines denrées manquent, moi c'est le fromage (pourquoi je sens que ça ne surprendra personne ?), même si je me venge sur ces boites de conserves de cheddar séché !

De son côté, Usha, le chef officiel de notre petite cuisine, s'est lancée dans la culture de graines... espérons que ça prenne !... et fait du pain régulièrement.

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